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Inégalités: la fiscalité française est-elle exemplaire?
Par Laurent Martinet, avec AFP, publié le 02/05/2014 à 17:18, mis à jour à 17:29
Les plus hauts revenus concentrent une part de plus en plus importante de la richesse mondiale. L’OCDE plaide pour qu’ils soient mieux taxés. Affaire de justice sociale, mais aussi d’efficacité économique.
Les Indignés à Nantes en 2011:”Nous sommes les 99%. Dehors les 1%”
REUTERS/Stephane Mahe
Piketty a encore frappé. Le mois dernier, il présentait à la Maison Blanche Le Capital au XXIe siècle, son best-seller dénonçant la persistance des inégalités dans le monde développé. “Il y a longtemps que les démocrates nous sollicitent”, se flattait l’économiste français. Aujourd’hui, c’est encore mieux. La très libérale OCDE, organisation des pays les plus riches du monde, invoque ses travaux pour réclamer une taxation accrue des plus riches. Les capitalistes sont-ils devenus fous?
Les plus riches plus gourmands
Dans son nouveau rapport sur l’évolution des plus hauts revenus depuis 30 ans, l’OCDE se fonde sur les chiffres collectés par Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Facundo Alvaredo et Tony Atkinson pour l’Ecole d’économie de Paris sur l’évolution des écarts de revenus au XXe siècle. Aux États-Unis, la part du revenu national allant au “dernier centile”, c’est-à-dire au 1% de la population la plus riche, a été multiplié par 2,5: les hyper-riches captaient 8% de la richesse en 1981 contre 20% en 2012. La part de revenu détenue par les 1% passe dans le même laps de temps de 6% à 14% en Grande-Bretagne, de 10% à environ 13% en Allemagne, ou de moins de 5% à plus de 10% au Portugal. L’OCDE note aussi de fortes poussées dans des pays réputés pourtant plus égalitaires, comme la Finlande, la Norvège ou la Suède, ou la part des revenus détenus par les 1% a grimpé de 70% en 30 ans. Dans l’ensemble, la tendance est simple: le revenu des plus riches augmente plus vite que celui des classes intermédiaires, tandis que celui des plus pauvres stagne.
OECD (2014), “Focus on Top Incomes and Taxation in OECD Countries: Was the crisis a game changer?”
Le FMI joue aussi les Robins des Bois
L’OCDE n’est pas la première organisation internationale “libérale” à s’inquiéter ainsi du creusement des inégalités. Le FMI, longtemps accusé de négliger cette thématique dans les pays pauvres soumis à ses programmes, multiplie depuis l’an dernier les rapports sur les inégalités. Il avait fait sensation il y a quelques mois en assurant qu’il serait possible de taxer “davantage” les hauts revenus.
“Sans une action concertée des pouvoirs publics, l’écart entre riches et pauvres devrait continuer de se creuser au cours des prochaines années”, alerte Angel Gurría, secrétaire général de l’organisation. “C’est pourquoi il est capital de veiller à ce que les plus hauts revenus acquittent une juste part de l’impôt”. L’opinion publique inquiète l’OCDE, car “elle ne peut pas admettre que les PIB augmentent sans que la majorité en bénéficie”. Les mouvements Occupy Wall Street et Indignés sont passés par là, se réclamant des “99%” de la population mis à l’écart de la répartition des richesses. Mais il ne s’agit pas simplement de justice sociale. La croissance a besoin de la consommation, et elle pourrait péricliter si une part de plus en plus importante des citoyens était exclue du banquet.
Vive la France!
La France fait exception dans ce paysage, avec l’Espagne et les Pays-Bas, puisque la part des 1% y est restée stable, passant de 7 à 8% environ. Or, si l’OCDE propose plusieurs pistes pour expliquer la concentration de la richesse - la révolution numérique mondiale et ses salariés hyper compétents, le rôle des stock-options dans la rémunération de certains cadres - elle n’en voit qu’une pour y remédier: reprendre aux 1%, par l’impôt, le revenu qu’ils ont accumulé et le capital qu’ils ont pu constituer. En effet, le taux d’imposition des plus hauts revenus n’a fait que décroître depuis 1981, malgré une très légère reprise après la crise de 2008. La moyenne dans l’OCDE est passée de 66% il y a 30 ans à 43% en 2013. L’accumulation des richesses est allée de pair avec une accalmie fiscale de longue durée.
OECD (2014), “Focus on Top Incomes and Taxation in OECD Countries: Was the crisis a game changer?”
L’OCDE propose donc d’”abolir ou de réduire une grande partie des déductions et niches fiscales profitant de manière disproportionnée aux plus aisés”, de “taxer comme le revenu ordinaire les stock-options” et aussi de “réfléchir à d’autres formes de taxes sur le patrimoine”, dont le patrimoine immobilier et celui constitué par héritage. Instituer l’ISF, en somme. Ces recommandations sont “pour une grande partie déjà mises en œuvre en France”, concède pour Lexpansion.com Michael Förster, un des auteurs du rapport, citant en exemple les droits de succession. La France serait-elle à l’avant-garde, pour une fois?
“Nous avons un système exemplaire, très redistributif pour les plus bas revenus”, réagit immédiatement Henri Sterdyniak, de l’OFCE, un organisme classé plutôt à gauche. “Nous taxons lourdement les revenus du capital et les dividendes, et nous avons l’ISF. En retour, il y a le RSA, le minimum vieillesse, et un SMIC relativement élevé. En conséquence, nous avons moins chuté que les autres en 2008″, assure l’économiste.
L’égalité, au prix du chômage
La France fait mieux que les autres pour réduire les inégalités de revenus. Les prélèvements fiscaux et les prestations sociales réduisent de moitié les écarts, selon l’INSEE, même si la redistribution a marqué le pas ces dernières années. Revers de la médaille, qu’Henri Sterdyniak reconnaît volontiers, le cocon français “accentue notre niveau de chômage”, et fait qu’après la crise de 2008, “on a plus de mal à remonter la pente parce qu’on bénéficie moins de la reprise mondiale”.
En effet, alors que l’Allemagne dépend de son commerce extérieur, que le Royaume-Uni est tirée par la finance internationale, la France dépend essentiellement de sa consommation intérieure. Elle est son propre moteur économique. Derniers à être entrés dans la crise, nous serons donc les derniers à cueillir les fruitsd’une reprise qui s’avère très lente. De l’inconvénient d’être une “île heureuse” comme on surnommait déjà la France en 1929.