Nous nous efforçons depuis quelques années de promouvoir les clauses bénéficiaires dites « à options »[1] permettant au bénéficiaire, le plus souvent le conjoint, de choisir de n’accepter qu’une part du capital payable par l’assureur au décès de l’assuré[2], la part non acceptée revenant aux bénéficiaires de substitution désignés par le stipulant lui-même.
Nous sommes partis du constat suivant : les patrimoines transmis ont augmenté très sensiblement ces dernières années au point que l’on est en droit de se demander si les héritiers ou certains d’entre eux auront l’utilité de tout ou partie de l’héritage leur revenant. La réponse doit être fournie par le ou les héritiers concernés au lendemain de la survenance du décès.
Pourquoi subir l’héritage ? Pourquoi ne pourrait-on pas choisir de faire « son marché, sa propre allocation d’actifs », dans le patrimoine du défunt[3] ?
Conscient de l’intérêt de pouvoir restreindre l’étendue des libéralités à l’aune de la réalité des besoins du gratifié, le législateur a introduit dans la loi du 23 juin 2006 la possibilité de « cantonner », c’est-à-dire de choisir de ne pas accepter une partie des biens composant la masse successorale du défunt. Ce cantonnement profite à tout légataire, aux termes de l’article 1002-1 du Code civil[4], et également, bien sûr, au conjoint survivant, d’après l’article 1094-1, 2ème alinéa[5].
Ce droit au cantonnement est encore peu usité. Les notaires chargés d’en faire connaître l’existence et les modalités d’exercice ne sont pas encore convaincus de sa pertinence. On pourrait faire la même observation en ce qui concerne les conventions de mariage fondées sur l’article 1515 du Code civil[6] qui permettent à un époux de choisir de prélever ou de ne pas prélever tel ou tel bien composant la communauté ou la société d’acquêts[7].
La faculté de prélèvement (préciput) ne concerne que les biens de la communauté existant au jour de la liquidation, comme la faculté de cantonnement ne profite qu’aux biens composant la succession du défunt. Qu’en est-il du capital issu d’un contrat d’assurance ? Pour beaucoup d’assureurs, le choix pour le souscripteur de n’accepter qu’une partie du capital serait impossible.
A. Les réticences des assureurs aux clauses à options[8]
Le capital issu d’un contrat d’assurance n’est ni un bien commun, susceptible de prélèvement, ni un actif successoral susceptible de cantonnement.
Faut-il en déduire que le bénéficiaire d’un contrat d’assurance ne pourrait qu’accepter ou refuser le tout sans autre possibilité ? S’il accepte, il reçoit le tout alors qu’il pourrait ne pas en avoir totalement besoin. S’il refuse, ce ne pourrait être que le tout alors qu’une fraction de ce tout lui aurait convenu.
Au vu des enjeux économiques et patrimoniaux il nous est apparu souhaitable que le bénéficiaire de premier rang puisse disposer d’un choix multiple, par exemple accepter l’intégralité du bénéfice, n’en accepter que les trois quart, la moitié ou encore un quart[9]. Toute autre quotité pourrait être proposée, telle que permettre le choix d’une partie en propriété, d’une autre en usufruit seulement.
Lorsque l’importance des capitaux en jeu et les préoccupations patrimoniales le justifient, nous avons suggéré que le stipulant crée, par une rédaction appropriée de la clause bénéficiaire, un droit d’options au profit du bénéficiaire de premier rang. Nous avons proposé par exemples les clauses bénéficiaires suivantes :
« Je désigne Madame X, comme bénéficiaire en cas de décès de tout ou partie du capital issu de mon contrat d’assurance…. Elle disposera d’un délai de trois mois, à compter du jour de mon décès, pour indiquer si elle accepte la totalité du capital ou l’une des quotités suivantes : ¾, ½, ¼. Dans le cas où elle n’accepterait pas ou n’accepterait que l’une des quotités ci-dessus précisées, les capitaux non acceptés par elle bénéficieront à mes enfants Pierre et Philippe, vivants ou représentés, par parts égales. Dans le cas du prédécès de Madame X. ou de son décès sans avoir accepté ou de son refus d’accepter, la totalité du capital reviendra à mes enfants ».
ou encore :
« Je désigne Madame X, comme bénéficiaire en cas de décès de tout ou partie du capital issu de mon contrat d’assurance… Elle disposera d’un délai de trois mois, à compter du jour de mon décès, pour indiquer si elle accepte la totalité du capital en pleine propriété ou en usufruit seulement. Dans le cas où elle n’accepterait le capital qu’en usufruit, la nue-propriété bénéficierait à mes enfants Pierre et Philippe, vivants ou représentés par parts égales. Dans le cas du prédécès de Madame X ou de son décès sans avoir accepté ou de son refus d’accepter, la totalité du capital reviendra à mes enfants ».
Cette faculté d’option a des effets assez proches de ceux d’un cantonnement.
Les compagnies d’assurance, faisant preuve, une fois de plus[10], d’un « conservatisme prudentiel », ont exprimé des réserves voire des doutes sur la possibilité d’ouvrir ce droit d’options au profit du bénéficiaire de premier rang.
L’argument majeur mis en avant, était, et est toujours, de nature fiscale. Le fait pour le bénéficiaire de n’accepter qu’une partie, par exemple les ¾ du bénéfice, ferait du ¼ revenant au bénéficiaire de second rang, une libéralité taxable entre le bénéficiaire de 1er rang et celui de 2ème rang.
Pour envisager un risque de taxation, faut-il qu’existe une libéralité respectant les conditions définies par le Code civil, et au moins les conditions de fonds à défaut d’avoir respecté les conditions de forme de l’article 931 du Code civil. L’absence de disposition fiscale spécifique renvoie nécessairement ipso facto aux modalités précisées par les règles civiles.
Pour donner un bien, il faut l’avoir un instant de raison possédé. Le droit de disposition ou d’arbitrage est indissolublement lié à la propriété[11]. Pour posséder un capital issu d’un contrat d’assurance il faut l’avoir accepté. Le droit civil (article 932 du Code civil), comme le droit de l’assurance (article L 132-9 du Code des assurances), soumet les libéralités, quels qu’en soient la forme et le support à un principe de base : l’acceptation du donataire, ou encore l’acceptation de l’attributaire.
Madame X, bénéficiaire de 1er rang, en n’acceptant qu’une partie du capital, par exemple les 3/4, n’a pas pu donner aux deux enfants le ¼ restant puisqu’elle ne l’a pas accepté. L’administration fiscale aurait bien du mal à obtenir une qualification de cette opération en libéralité… et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle ne l’a jamais fait[12].
Nous espérions avoir convaincu. Malheureusement, les compagnies réticentes sont encore nombreuses. A défaut de reconnaître la validité de la division du bénéfice, certaines compagnies recommandent toujours la division des primes par la souscription de plusieurs contrats, avec pour bénéficiaires « mon conjoint, à défaut mes enfants vivants ou représentés, à défaut mes héritiers ». Le conjoint pourra « opter », c’est-à-dire accepter l’un ou l’autre des contrats et refuser les autres.
B. PROPOSITION POUR DÉPASSER LES RÉTICENCES DES ASSUREURS
Toujours convaincu de l’intérêt pour le conjoint, premier bénéficiaire, de pouvoir choisir, nous proposons de recourir à une clause bénéficiaire suffisamment classique pour ne pas réveiller les oppositions des services juridiques des compagnies.
Notre clause serait tout simplement la suivante : « mon conjoint, à défaut mes héritiers ». De la clause type, la plus banale, nous avons simplement retiré « à défaut mes enfants vivants ou représentés ».
Le retrait de cette partie de la clause type va ouvrir au conjoint les trois options suivantes :
Option 1 - S’il considère que la totalité du capital lui est nécessaire pour lui garantir une belle fin de vie, étant bénéficiaire de premier rang, il accepte. Le capital lui est intégralement payé.
Option 2 - S’il considère que la totalité du capital ne lui est pas nécessaire et qu’une partie, mais une partie seulement, pourrait revenir aux enfants, alors il n’accepte pas le bénéfice du capital. Entreront en scène, non pas les enfants par défaut, mais les héritiers désignés comme bénéficiaires en second. En application des dispositions de l’article L 132-8 du Code des assurances, les héritiers, au rang desquels se trouvent le conjoint et les enfants, profiteront du bénéfice dans la proportion de leurs parts héréditaires. « Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires »[13]. Ne pas bénéficier du tout devient possible. Ce n’est plus l’alternative, ou tout au conjoint, ou tout aux enfants, telle qu’elle résulte de la clause type banale proposée par les assureurs.
Option 3 - S’il considère qu’il serait préférable que le capital profite exclusivement aux enfants, alors il n’acceptera pas la part lui revenant en sa qualité d’héritier, ses enfants (et éventuellement petits-enfants en cas de prédécès de l’un) en partageront l’entier bénéfice.
Dans l’option 2, le partage du capital, entre le conjoint et les enfants[14], se fera en raison de l’option retenue par le conjoint en absence ou en présence de libéralités entre époux.
- Absence de libéralités entre époux : application de l’article 757 du code civil, le conjoint pourra choisir soit le ¼ en PP, soit la totalité en usufruit[15].
- Présence de libéralités entre époux : application de l’article 1094-1 du Code civil, le conjoint pourra choisir, soit la quotité disponible ordinaire en propriété, soit le ¼ en PP et les ¾ en usufruit, soit la totalité en usufruit[16].
Le droit d’option ne sera pas contesté, parce que non contestable, puisqu’il résulte tout simplement de l’application de la loi successorale qui s’impose aux héritiers. Le patrimoine successoral et le patrimoine (assurance) placé hors succession par l’article L 132-12 seront répartis de manière identique entre tous les héritiers, conjoint, enfants (voire petits-enfants). Cette position a été confirmée par le Ministère de l’économie et des finances[17] et par le Garde des Sceaux [18] : « Le terme héritier peut être interprété, depuis un arrêt de la première chambre civile du 4 avril 1978, comme renvoyant à l’ordre successoral organisé par la loi ou la volonté du défunt », rien ne justifiant « de distinguer la notion d’héritier, selon qu’il s’applique en droit des assurances ou en droit des successions ».
Les héritiers ainsi désignés produiront un certificat d’hérédité, prenant acte des options retenues par le conjoint dans le cadre successoral. L’assureur pourra s’appuyer sur ce certificat pour répartir les capitaux entre les bénéficiaires.
La clause bénéficiaire sera ainsi libellée :
« Je désigne pour bénéficiaires de mon contrat d’assurance mon épouse, à défaut mes héritiers. Dans le cas ou mon épouse n’accepterait la totalité du bénéfice du contrat, celui-ci bénéficiera à mes héritiers en proportion de leurs droits héréditaires en application des dispositions de l’article L 132-8 du code des assurances. Mes héritiers devront produire à l’assureur une copie de la déclaration d’options faite dans le cadre du règlement de ma succession (ou une copie de l’acte de notoriété) précisant la nature de leurs droits héréditaires. L’assureur pourra alors régler les capitaux revenant à chacun des bénéficiaires[19] »
On complétera notre clause « type » en précisant les modalités d’exercice des droits du conjoint et des enfants dans le cas où totalité ou partie des capitaux reviendrait au conjoint en usufruit.
« Si mon épouse a opté pour une partie ou pour la totalité en usufruit, cet usufruit s’exercera sur le capital du contrat d’assurance de la manière suivante : le bénéficiaire en usufruit sera dispensé de donner caution au sens de l’article 601 du code civil ainsi que de placer les sommes soumises à son usufruit au sens de l’article 602 de ce même code. Les bénéficiaires en usufruit et en nue-propriété constateront dans un acte de reconnaissance de quasi-usufruit, valant inventaire au sens de l’article 600 du code civil :
1° - le montant des capitaux soumis au quasi-usufruit,
2° - la nature des droits profitant à chacun d’eux
Droits issus de l’article 587 du code civil : droit de libre disposition du quasi-usufruitier, droit de créance du nu-propriétaire payable au terme de l’usufruit.
Cet acte sera enregistré afin de conforter l’opposabilité à l’administration fiscale de la dette de restitution. La compagnie d’assurance ne sera nullement tenue de l’usage fait par le bénéficiaire en usufruit de ce capital.
S’il est dû des droits ou taxes à l’Etat, par les bénéficiaires en nue-propriété, le bénéficiaire en usufruit devra en assurer le paiement par prélèvement sur la somme reçue de la compagnie. La créance des nus-propriétaires sera réduite du montant des droits payés pour leur compte ».
Nous espérons enfin être entendus des assureurs et des courtiers. Il serait dommage de ne pas tirer profit de la liberté qui profite à tout stipulant dans la désignation bénéficiaire pour optimiser, dans un cadre familial, la répartition entre ses héritiers de capitaux dont il n’a pas disposé de son vivant.
[1] Egalement dénommées « clauses à tiroirs ».
[2] V. Jean Aulagnier, La faculté de division du bénéfice d’un contrat d’assurance ouverte par la volonté du stipulant, Solutions notaires, n° 4, novembre 2011, ou Newsletter de l’AUREP n° 109, juin 2011. Jean Aulagnier, Les réserves injustifiées de certains assureurs quant aux clauses bénéficiaires à option, l’Agefi ACTIFS, n° 548 p. 8 et s.
[3] V. Jean Aulagnier, Pour une protection optimale sur survivant, choisir de prélever tout ou partie des biens du prémourant, La semaine Juridique, Ed. Not. N° 9/10, 1er mars 2013.
[4] Article 1002-1 : « Sauf volonté contraire du disposant, lorsque la succession a été acceptée par au moins un héritier désigné par la loi, le légataire peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Ce cantonnement ne constitue pas une libéralité faite par le légataire aux autres successibles ».
[5] Article 1094-1 : « Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles ».
[6] Article 1515 : « Il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux, ou l’un d’eux s’il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens ».
[7] Les conventions de préciput ont trouvé une certaine actualité dans leur application aux contrats d’assurance non dénoués de l’époux survivant pour contourner les réponses ministérielles Proriol (10 novembre 2009) ou Bacquet (29 juin 2010) qui ont affirmé la valeur commune, tant sur le plan civil que fiscal, du droit de rachat des contrats non dénoués.
[8] V. Jean Aulagnier, Les réserves injustifiées de certains assureurs quant aux clauses bénéficiaires à option, l’Agefi Actifs, n° 548 p. 8 et s.
[9] V. Jean Aulagnier, Assurance vie : trois questions à …, Revue Fiscale du Patrimoine, n° 3, Mars 2004, p. 7 et 8
[10] Il nous a fallu beaucoup de temps et de patience pour les convaincre de la pertinence des clauses bénéficiaires démembrées, qu’elles ont fini par admettre.
[11] Article 544 du Code civil
[12] L’administration fiscale a d’ailleurs précisé que lorsque le bénéficiaire d’un contrat n’accepte pas le bénéfice qui revient alors au bénéficiaire de second rang la taxation éventuelle supportée tient compte non pas du lien de famille entre l’assuré et le bénéficiaire de second rang et non pas du lien de famille avec le bénéficiaire de premier rang, V. RM Roques, JOAN 27 septembre 1993, p. 4611, n° 6119 : « La renonciation du 1er bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie a pour effet d’attribuer le droit au capital au second bénéficiaire désigné. Par suite, des droits de succession éventuellement dus sur la valeur du capital acquis au décès de l’assuré(…) sont liquidés en fonction du lien de parenté entre le second bénéficiaire et l’assuré ».
[13] Il est parfois proposé d’utiliser ce renoncement du bénéficiaire de 1er rang pour résoudre le problème de l’exclusion des petits enfants lorsque la clause bénéficiaire, dans une rédaction ancienne, n’avait pas prévu la représentation de l’enfant précédé. Exemple : « bénéficiaires mes enfants nés ou naître, à défaut mes héritiers ». On sait que l’attribution bénéficiaire exclut la représentation si elle n’est pas expressément prévue. L’un des enfants est précédé. Pour permettre aux petits enfants de l’enfant prédécédé de recevoir leur part, il est proposé aux enfants vivants, bénéficiaires de 1er rang, de ne pas accepter. Par défaut de bénéficiaires de 1er rang, ce sont les bénéficiaires de substitution donc « les héritiers » au rang desquels se trouvent alors les enfants et les petits enfants par le jeu de la représentation.
[14] On suppose qu’ils sont au nombre de deux.
[15] « …. lorsque tous les enfants sont issus des deux époux », article 757 du Code civil.
[16] On s’est interrogé pour savoir si le cantonnement éventuellement exercé par le conjoint dans le cadre du règlement de la succession aurait une incidence sur les droits héréditaires des bénéficiaires. Il a été répondu : aucune. Cf. Marc Iwanesko, Michel Leroy, Clause bénéficiaire en assurance vie, Dossiers Pratiques Francis Lefebvre, p. 97 ; V. également M. Giray, Le cantonnement de l’émolument du conjoint survivant par le nouvel article 1094-1 du code civil, Revue Fiscale Notariale, 2006, étude n° 15.
[17] RM Roubaud JOAN 1 juin 2008, p. 5182, n° 8657.
[18] RM Laffineur, JOAN 20 juillet 2009, p. 7515, n° 44814.
[19] Contrairement à ce que laissent entendre certaines compagnies d’assurance, les capitaux ne peuvent pas être payés entre les mains du notaire à charge par lui d’en faire la répartition entre les héritiers/bénéficiaires. L’article L 132-23-1 précise expressément : « Après le décès de l’assuré ou au terme prévu par le contrat et à compter de la réception des pièces nécessaires au paiement, l’entreprise d’assurance verse, dans un délai qui ne peut excéder un mois, le capital ou la rente garantis au bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie ». Le paiement des capitaux doit être fait entre les mains des bénéficiaires.
Jean AULAGNIER